Boss final

[CW violence, agressions]

L’heure arrive. Après (plus de) 5 ans de détermination, je passe ma soutenance dans quelques jours. Si tout va bien, je serais officiellement psychologue avant la fin de la semaine qui s’annonce. Je n’arrive pas à y croire. Évidemment, j’ai plein de choses à raconter sur comment ces 5 ans se sont passés, qui feront l’objet de billets à venir. Mais je touche du doigt ce diplôme, ce titre que beaucoup de gens me répètent encore et encore que je ne devrais pas pouvoir y prétendre. Que ma place est du côté des « patient-e-s » pas des professionnel-le-s.

Je dis « si tout va bien », parce qu’on m’a dit à plusieurs reprises qu’il valait mieux que ça ne se sache pas. Que j’ai dû changer une partie de mon oral de soutenance pour éviter de dire un mot plein de sens, celui de pair-aidance ou de pairémulation, parce que… Cela sous-entend que je fais partie du « mauvais groupe », finalement. C’est absurde, mais je joue avec les règles du jeu de celles et ceux qui décident, parce que comme dirait une amie, je suis arrivé au « Boss final ».

J’ai enduré un certain nombre de discours avec lesquels mon degré d’accord allait du simple désaccord à la révolte complète, comme par exemple lorsque je me suis fait exclure d’un cours de TD de Licence parce que je m’opposais au discours d’une intervenante qui justifiait le viol et les agressions sexuelles, et qui m’a demandé devant le groupe de 40 personnes si j’avais moi même été agressé pour m’y opposer de façon aussi véhémente. Si je refusais de répondre, elle m’excluait de la séance… Ces 5 années ont donc été dures, pas seulement parce que je suis autiste et que j’en ai entendu des vertes et des pas mûres à ce sujet. Mais j’avais cet objectif en tête et je n’en démords toujours pas.

Évidemment, malheureusement d’ailleurs, j’ai vécu un certain nombre d’autres expériences de discrimination au travail/à l’université, donc tant que je n’ai pas l’attestation de réussite en main ou que je ne vois pas mon nom inscrit sur la liste des reçus, je ne crierai pas victoire. J’ai bien conscience que tout peut s’écrouler rapidement en lien avec une caractéristique que je ne peux pas contrôler et l’étroitesse des idées de celles et ceux qui décident.

Il se trouve aussi que finalement, ce boss final qui me paraît aujourd’hui immense et menaçant, caractéristiques qui s’intensifient au fur et à mesure que la date approche, ne sera qu’un boss intermédiaire, puisque dès le 1er octobre je me lance dans 3 années minimum de thèse. Je pense que vous pouvez deviner quel sera ma « population » de prédilection… Les adultes autistes sans déficience intellectuelle associée. Quelle surprise…

Vous entendrez donc sûrement aussi parler de ma thèse, puisque finalement je reste aussi étudiant, même si je deviens un étudiant d’un autre genre. Mais revenons-en à nos moutons, comme on dit. Le diplôme. Ce précieux sésame. Ce titre. Cette clef qui va me permettre, enfin, de m’ouvrir certaines portes. Parce qu’une fois rentré, les choses peuvent changer.

Il s’agira, comme toujours, d’un numéro d’équilibriste pour chambouler les choses gentiment, ne pas trop perturber/faire peur à celles et ceux qui décident d’un coup, mais changer quand même. Rester en accord avec mes valeurs, avec le vernis de compliance à l’autorité. S’il y a bien quelque chose que je retire de ces années d’université passées plus ou moins en sous-marin, en « infiltré », c’est ça. Garder mes valeurs intactes, développer des projets en accord avec celles-ci, tout en apprenant le vocabulaire et l’attitude nécessaire à montrer, au moins en surface lorsque j’estime qu’elles doivent changer, que je suis capable de suivre normes du métier. Et apprendre à « mentir », ou du moins trouver des arguments qui soutiennent certaines positions avec lesquelles je ne suis pas d’accord, même si je n’y crois pas. Ce qui m’aura par exemple été très utile pour obtenir ma Licence dans une université où la psychanalyse règne en maître suprême et où il m’a été donné d’entendre des absurdités telles que cette méthode permet de guérir le cancer, qui ne serait donc, selon ce professeur, que l’expression d’un symptôme refoulé.

Il n’est pas difficile de deviner que mon niveau de stress, d’anxiété et de nœuds dans le ventre est assez important. Mais j’ai beaucoup aimé l’image donnée par mon amie, aussi parce que j’aime les jeux vidéos. Je m’approche (parfois à reculons) du boss final, de cette soutenance impactée en plus par cette année particulière, que je vais donc devoir faire masqué. Tout un symbole!

Et ensuite… Et ensuite j’espère que la musique de victoire retentira, que je tiendrais entre mes mains ce diplôme ! Que je pourrais participer à montrer que les personnes autistes peuvent être psy*! Que nous avons notre place dans ce métier, pour accompagner d’autres personnes autistes, ou pas d’ailleurs!

Pour celles et ceux qui lisent ceci et me connaissent, vous vous doutez bien que j’ai déjà des tonnes de projets et des tonnes d’idées en lien avec ce beau métier, que je veux exercer depuis longtemps.

Parce que oui, les gens qui viennent nous voir, nous ouvrir la partie la plus intime de leur existence, leur cerveau, ne sont pas …. au meilleur de leur forme. En tout cas, je n’ai encore jamais rencontré de personnes qui venaient en consultation ou même en accueil associatif pour discuter de la pluie et du beau temps. Chose que je ne saurais probablement pas très bien faire, d’ailleurs. Et oui, certaines choses nous bouleversent, nous remuent les tripes, nous révoltent et font jaillir tout un champ d’émotions plutôt difficiles.

Mais c’est un privilège. Même quand je sortais d’une consultation difficile pendant mon stage, parce que j’avais l’impression de ne rien avoir fait de bien, ou parce que la personne partageait des choses très difficiles, voire atroces, cela ne faisait que renforcer mon envie d’exercer ce métier. Parce que c’est un privilège absolu, que les personnes qui viennent s’asseoir en face de vous vous accordent. On parle ici de confiance, de vulnérabilité, de partage…

Et il ne faut pas se tromper, ce sont ces personnes qui font le travail. Je vois les choses de cette façon, parce que j’aime le tricot: les personnes viennent avec une pelote emmêlée et elles ne retrouvent plus leurs aiguilles. Nous sommes juste là pour les aider à trouver le bon fil sur lequel tirer et à retrouver leurs aiguilles et on peut même commencer à tricoter ensemble.

Quoi qu’il en soit, même si c’est parfois compliqué, décourageant, frustrant, épuisant et que ce n’est pas facilité par le fait que je sois autiste, je suis tombé amoureux de ce métier. Et j’espère qu’à l’issue de ma confrontation avec le Boss final, l’on m’aura accordé le droit de l’exercer.

Fingers crossed.

Un avis sur « Boss final »

  1. Depuis que Julie Dachez a partagé ton blog sur son compte Twitter, je me suis mise à lire tous tes billets et j’attends toujours avec impatience les nouveaux ! Bonne chance pour ta soutenance ! (même si ça ne relève pas vraiment de la chance mais plutôt du travail et de la détermination).

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