Tout un chemin

C’est officiel. Si si, il y a même écrit mon nom sur un papier qui le dit. Je suis psychologue.

Je n’y crois toujours pas. Ou en tout cas, ça ne semble pas réel. C’est l’aboutissement de tant d’années de galère, de tant de travail… Et de tant de ruminations et de persévérance pour faire face à tous les discours entendus que des gens qui fonctionnent comme moi n’ont pas leur place ici, dans ces études, dans ce métier.

Cela va peut-être paraître stupide, mais dans la dernière diapositive de mon diaporama de soutenance, celle avec écrit « Merci pour votre attention » etc, qui reste affichée pendant la séance de questions-réponses, il y avait, quel symbole, un message caché. J’y ai écrit « Je suis autiste » en petit, en blanc, caché dans le fond. Un peu comme j’ai dû faire pendant ces 5 années de Licence + Master, ne pas le dire trop fort voire même le cacher. Mais c’était important pour moi, dans cet espace temps, face à ces trois personnes qui allaient décider en quelques minutes après ma sortie de la salle de soutenance, si tous ces efforts allaient mener à quelque chose, que ce soit présent, quelque part, même si je ne pouvais pas le crier haut et fort à ce moment là.

J’ai bien conscience que ça peut refroidir certaines personnes. Il y a des gens qui considèrent qu’un psy qui présente le même type de fonctionnement qu’eux n’est pas capable de les suivre. J’ai conscience que cette information peut me fermer la porte de certaines institutions, m’empêcher d’exercer à certains endroits… Bref, je n’ai pas oublié la réalité du handicap, de la discrimination et des préjugés.

Ce diplôme j’ai voulu l’obtenir pour m’ouvrir certaines portes. Parce que l’on fonctionne encore beaucoup comme ça, en France. Il faut le papier. Il faut le papier pour pouvoir dire qu’on « sait ». J’ai derrière moi un certain nombre d’années d’accueil associatif et même dans ce contexte, alors que je suis avec d’autres sur le terrain, avec les premier-e-s concerné-e-s, beaucoup (notamment beaucoup de ciels qui ont le pouvoir de décision) considèrent que des gens qui ont lu des livres savent plus, savent mieux. Peu importe que ce soit des personnes des mêmes associations qui forment le milieu médical (pourtant omniscient si l’en en croit les dires des médecins) aux particularités de leurs communautés.

Mais ça y est. Je l’ai, maintenant, cette clef. Je suis non seulement psychologue, mais psychologue clinicien. Oui, je m’approprie ce mot capturé par les praticien-ne-s d’obédience psychanalytique, comme si la clinique leur appartenait. Je suis spécialisé en TCC, donc en thérapies comportementales, cognitives et émotionnelles, ce qui ne fait pas de moi un robot appliquant des techniques, mais un clinicien avec un cadre de référence différent de celui qui est fréquemment associé à ce mot.

Mais pourquoi, au moment de postuler en Master, j’ai choisi la clinique? Malgré les différents difficultés que cela peut présenter, lorsqu’on est, comme moi, autiste?

Une collègue, qui est maintenant même une amie, m’a dit que j’avais réussi à faire de mon intérêt spécifique mon travail. Effectivement, j’ai toujours été intéressé par le fonctionnement des gens. J’ai toujours voulu comprendre ce qu’il se passait dans la tête des autres, que ce soit au niveau du groupe, à travers mes différents schémas de la hiérarchie sociale de la cour de récré et de la classe, de la société mais aussi au niveau individuel. Que ce soit en m’intéressant à certains types de fonctionnement, comme par exemple la pensée sectaire (qui fait se rejoindre l’individu et le groupe) mais aussi en m’intéressant aux individus.

Il suffit d’ajouter à ça des valeurs fortes, comme on en trouve chez la plupart des personnes autistes, et surtout une adhésion à ces valeurs que l’on peut qualifier de rigide et voilà, vous avez les ingrédients suffisants pour pousser une personne autiste vers des professions du médico-social ou de l’éducation, ce qui est plus courant qu’on le ne croit. Cela paraît tellement antithétique quand on lit la liste des critères diagnostics, quand on pense aux difficultés rencontrées… Et pourtant, une autre caractéristique présente chez bien des personnes autistes est la persévérance et la détermination.

Alors oui, je suis psychologue. Un psychologue différent, pour qui la partie la plus difficile d’un entretien ne sera pas forcément d’entendre la description d’un évènement traumatique mais d’aller chercher la personne en salle d’attente. Parce que même avec des scripts, les petits moments informels font partie de ce qui n’a jamais été simple pour moi.

Les retours que j’ai pu avoir, à la fois des personnes suivies en complète autonomie pendant mon stage clinique ainsi que des différent-e-s professionnel-le-s qui ont pu m’observer, et surtout de ma tutrice, peuvent laisser penser que je suis un minimum compétent. Mes collègues continuent de me faire des retours très positifs sur les participant-e-s à l’atelier que j’ai créé pour mon mémoire, et il m’a été demandé de venir les former à cet atelier pour qu’il reste en place. L’estime de soi, ce n’est pas non plus mon fort, si vous ne l’aviez pas encore remarqué.

Écrire ce billet fait partie de mon processus de digestion de cette information. Je suis psychologue. Et c’est pour moi un vrai privilège d’exercer ce métier. Même quand c’est difficile. Voire surtout quand ça l’est. Des personnes me laissent accéder à ce qu’elles ont de plus intime, leurs pensées, leurs émotions, leurs expériences, pour qu’on puisse, ensemble, les démêler, atteindre quelque chose qui est positif pour elles.

Ce n’est pas le métier le plus simple que j’aurais pu choisir. Mais c’est celui, où, je crois, j’ai ma place. Celui où je ferais ma place en tant que personne autiste.

J’ai appris au début du mois, ce que j’ai brièvement abordé ici, que j’avais obtenu un contrat doctoral. Je vais donc être embauché par l’Université pour les trois prochaines années, pour faire une thèse de doctorat en psychologie. Ce sera de la recherche appliquée, le coeur des TCC, créer et tester un programme pour pouvoir le « vendre » aux institutions. Pouvoir leur dire que ce programme fonctionne, c’est donc « rentable » pour elles de le mettre en place.

C’est en lien avec le diagnostic d’autisme à l’âge adulte. Pour que des situations comme j’ai et comme bien d’autres que je connais ont vécu, du type « Vous êtes autiste, au revoir », ne se reproduisent plus.

Ce qui ne m’empêche pas d’avoir un certain nombre d’autres projets à côté, qui vont me permettre d’exercer, de manière bénévole, pour mes communautés. Des choses dont vous entendrez peut-être parler, ici ou ailleurs.

Et évidemment, ce n’est pas parce que mes études sont « finies » (parce que faire une thèse est tout de même différent) que je n’ai pas tout un éventail de choses à dire dessus, pour les personnes qui, comme moi, se sont lancées dedans.

A ce propos, une liste de diffusion qui a été mise en place par Julie Dachez, si cela est susceptible de vous intéresser:

Tweet de Julie Dachez, liste de diffusion étudiant-e-s autistes en psycho

A bientôt, et prenez soin de vous.

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