De la non-mixité

De retour par ici… Je n’ai pas encore eu tout à fait le temps de m’adapter au travail de thèse, avec certaines choses qui débarquent à l’improviste, qui demandent de réorganiser des journées ou des semaines entières de planning et qui épuisent rapidement mes capacités adaptatives, qui ne sont dejà pas les plus développées. Tout cela me coûte beaucoup d’énergie, ce qui fait que j’ai un peu délaissé ce blog, même s’il y a tant de choses que je voudrais y écrire.

Une idée me trotte dans la tête depuis un moment et c’est finalement les propos récents tenus autour de la non-mixité qui, tout en me mettant hors de moi, m’invitent à m’asseoir devant mon clavier aujourd’hui pour écrire ceci.

Avant toute chose, il me semble essentiel de m’assurer que nous parlons bien de la même chose. La non-mixité, qui s’applique généralement à des groupes de paroles, des conviviales, des actions militantes, etc, c’est quoi? C’est lorsque des personnes choissisent de se regrouper en prenant en compte un aspect de leur identité, qu’il soit lié à la couleur de leur peau, leur religion, leur orientation sexuelle, leur identité de genre, leur handicap, etc etc. Il s’agit de caractéristiques qui exposent ces personnes à un certain nombre de discriminations et elles choisissent de se réunir dans des espaces fréquentés uniquement par d’autres personnes avec des caractéristiques et expériences similaires.

Mais finalement, pourquoi? À quoi ça sert?

À entendre certains commentaires dernièrement, ça sert à « découper les gens selon leur appartenance à (une des catégories précitées) », « renier l’universalisme ou l’humanité », ou encore pire « faire du racisme anti-blanc, de l’hétérophobie, de la cisphobie, (selon le groupe en question) etc etc ».

Spoiler alert: les espaces en non-mixité, ça ne sert pas à ça. Un espace en non mixité, c’est un espace où une personne peut se sentir libre d’exprimer ce qu’elle vit sans :

  • 1/ que l’on ne vienne constamment remettre en question ses expériences vécues
  • 2/ dans certains cas, que l’on remette même en question son identité (!)
  • 3/ qu’elle passe son temps à faire de la pédagogie

Vous vous souvenez probablement de la dernière fois que vous êtes allé-e-s sur un parking de grande surface et que vous avez vu ce fameux panneau « Si tu prends ma place, prends aussi mon handicap ». Il est facile de critiquer des choses que l’on ne comprend pas, de vouloir accéder à des choses auxquelles, (pour une fois), on a pas accès. Mais vraiment, vraiment, les espaces en non-mixité sont essentiels. Non seulement pour l’équilibre psychique des personnes concernées, mais aussi parce qu’il s’agit de lieux d’épanouissement, de partage, de bienveillance, à des kilomètres des images de réunions de personnes radicales qui se renferment sur elles-mêmes qui sont aujourd’hui évoquées.

Oui, certaines personnes décident de vivre, au maximum, en non-mixité. De ne développer des relations amicales et/ou amoureuses, qu’avec des personnes qui partagent les mêmes caractéristiques. Jusqu’ici, personne ne s’est jamais offusqué d’un mariage entre personnes catholiques blanches qui fréquentent exclusivement des membres de leur église. On va me répondre « Oui, parce que ce sont aussi des gens qui ont des métiers différents, des expériences de vie différentes, leur foi n’est qu’une partie de leur identité ». Figurez-vous que c’est exactement la même chose pour les personnes qui, dans le nuancier de couleurs qui consitue leur identité, en ont quelques-unes qui les placent dans des situations de minorité et de discrimination.

C’est le cas pour moi. J’en ai même plusieurs, qui font des nuances intersectionnelles, un concept sur lequel je reviendrais plus tard. Mais prenons, au hasard ( 😉 ), l’autisme. Pourquoi est-ce que les espaces en non-mixité autiste sont-ils importants pour moi?

Parce que, comme vous le savez déjà, je suis relativement fonctionnel. Enfin… Je donne le change. Je ne compte plus le nombre de fois où l’on a remis en question mon diagnostic. Et non, je suis pas mon diagnostic. Je suis autre chose qu’une personne autiste. Mais je suis aussi une personne autiste. Et ce fait a un impact sur mon existence au quotidien. N’en déplaise aux gens qui pensent que l’on se réduit à une partie de notre identité, je ne peux pas ne pas y penser. Parce que je suis obligé d’évaluer les dépenses d’énergie, parce que parfois la dysfonction exécutive me fait perdre un temps fou, parce que quand je sors dans la rue et que je suis envahi par la lumière, les sons, les gens, le mouvement et qu’il est évident que je ne réagis pas comme les autres personnesautour de moi, je ne peux pas juste l’ignorer. Cela ne m’empêche pas d’être aussi autre chose.

Il me paraît donc compliqué de complètement mettre de côté la façon dont mon cerveau fonctionne, dont la différence avec la majorité est parfois soulignée de manière flagrante. Je ne sais pas qui je serais sans autisme. Je ne sais pas comment je ferais l’expérience du monde sans la synesthésie. Donc, oui, être autiste fait partie de qui je suis. Je ne connais pas d’autre expérience.

Vous rappelez-vous de la dernière fois où votre frère/soeur/camarade de classe (rayez la mention inutile) a fait une bêtise et vous a pointé du doigt comme la personne responsable? Ce sentiment d’injustice et d’impuissance que vous avez fort probablement ressenti parce qu’on ne vous croyait pas « sur parole »? Que vous saviez pertinemment que non, vous n’aviez pas fait cela? Ces émotions, multipliées au centuple et répétées à intervalles réguliers, sont ce que moi et d’autres personnes comme moi vivent quand on remet en question ces parties de nos identités.

Vivre l’autisme au quotidien, dans un monde qui est loin d’être adapté, c’est épuisant. Vraiment épuisant. Le taux de troubles anxio-dépressifs, de suicide, et l’espèrance de vie de 54 ans des personnes autistes en sont des indices objectifs suffisants. Alors oui, parfois, j’ai envie de pouvoir en parler sans que l’on me réponde que « Je connais machin-e, qui est vraiment autiste et iel n’est pas comme toi »; « Mais tout le monde est timide/fatigué, etc »; « Si tu sortais un peu plus, je suis sûr-e que ça te ferait du bien » et le fameux « On est tous un peu autistes ». Croyez-moi, il y a certains jours, je vous donnerais bien mon cerveau, ça me ferait des vacances.

Et puis oui, j’ai aussi envie de pouvoir choisir les moments où j’explique ce que c’est, de vivre l’autisme tous les jours. Comment mon cerveau fonctionne. Comment ça m’impacte. Non, ce n’est pas toujours possible de choisir. Oui, je dois souvent expliquer aux professionnel-le-s de santé, y compris aux psychiatres qui me suivent ou m’ont suivi, comment ça fonctionne. Je reparlerais du poids de la pédagogie à un autre moment. Alors parfois, c’est vrai, j’ai envie de pouvoir participer à quelque chose sans avoir à répondre à toutes les questions de personnes qui sont venues pour s’informer. Ou même des gens qui sont venus « pour voir », comme j’ai malheureusement pu le voir dans certains groupes LGBTQI+ fréquentés notamment par des personnes trans. Ceci n’est pas un zoo, au revoir.

N’en déplaise à ses partisan-e-s, l’universalisme, c’est un peu comme « ne pas voir les couleurs ». Tel qu’il existe aujourd’hui, c’est plutôt nier les problèmes systémiques qui ont des impacts réels, au quotidien, sur la vie des personnes minorisées. C’est porter ce poids qui est épuisant. Les espaces en non-mixité sont des espaces où ce poids est allégé, voire effacé.

Y introduire des personnes qui ne connaissent pas ce poids spéficique revient à devoir leur expliquer, pour se retrouver face à des argumentaires qui nient l’existence même de ce poids. Cela transforme donc ces espaces en des espaces qui servent les besoins de la personne qui est venue pour s’informer, ou pour débattre, et non plus ceux des personnes qui vivent et souvent luttent avec ce poids.

Ces espaces sont aussi essentiels parce qu’il n’en existe pas d’autres. Trouver un-e professionnel-le dans le domaine médico-social, de l’accompagnement, qui a été formé-e et/ou est sensibilisé-e à ces expériences est un peu comme jouer à la roulette russe. Peu de chances que cela arrive et souvent ça fait mal. Ce qui retarde encore plus l’accès à la santé (mentale et physique) des personnes minorisées. La non-mixité est-elle une solution idéale? C’est un autre débat.

Mais tant que d’autres possibilités ne sont pas là, laissez-nous nos espaces en non-mixité. Tant que les personnes minorisées viveront de manière régulière des situations d’insultes, d’agressions, de discrimination; que leur accès aux droits, aux institutions, à la mobilité sociale, aux loisirs, etc sera moindre et plus difficile; que leur expérience vécue sera remise constamment en question par des gens qui n’ont pas la moindre idée de leur réalité, les espaces en non-mixité seront indispensables. Vitaux, même. On pourra en débattre lorsqu’ils deviendront optionnels. Mais on en est pas là.


J’en profite également pour vous partager la web-conférence « Les personnes autistes ont la parole » organisée par le réseau @psirit, réseau de personnes TSA-SDI du CRA Alsace, qui aura lieu le 07 avril à 18h30. Pour les informations et pour vous inscrire, c’est par ici: https://cra-alsace.fr/les-autistes-ont-la-parole-webconference/

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